Vie de nomades

Vie de nomades

Elle est habillée en bleue, porte un bonnet rouge avec un pompon, se tient sur le pas de la porte orange, et ses petites joues rouges brillent au soleil. Elle a un an et demi, s’appelle Gangansuwd (prononcé Angasat). Elle nous accueille devant sa ger (yourte), au milieu des steppes mongoles, après trois heures de traversée dans les reliefs caillouteux, sablonneux, parfois enneigés, à bord d’une Prius !

Aparté Prius :
La ville d’Oulan Bator suffoque sous le charbon et les centrales thermiques, respirant 7 fois plus de particules fines que les standards autorisés par l’OMS, montant jusqu’à 25 fois plus en hiver lorsqu’il faut se réchauffer des -40 degrés extérieur. Autant vous dire que ça pue, c’est irrespirable, et lorsqu’on voit des gens fumer, on se dit qu’ils sont en plein suicide. Les Prius, voitures hybrides, ralentissent l’asphyxie totale. Le gouvernement exempte ce genre de voitures de taxes et de droits de douane, favorisant ainsi leur acquisition. Les mongols les achètent d’occasion au Japon, qui pour la blague ont le volant à droite… alors qu’ils roulent comme nous, à droite. Ces volants de droite et de gauche accentuent le bazar pas possible dans le cœur de la ville, où le piéton est lui aussi suicidaire lorsqu’il traverse une rue.
Bref, je m’égare, fin de l’aparté Prius.

Nous passons timidement une tête dans la yourte. Timidement car personne ne nous invite à le faire, mais on ne va pas rester dehors. Nous espérons ne pas commettre d’impair, car quelques règles sont à respecter dans la ger. Le pied droit en premier, nous allons vers notre gauche, sans passer entre les deux piliers centraux (liens entre la terre et le ciel), et nous asseyons sur le petit lit, toujours côté gauche (celui des invités). C’est le début du choc culturel car la jeune femme face à nous ne nous accueille pas par un chaleureux bonjour, ni un grand sourire. Déroutant. Nous patientons, observons. Elle nous offre des bonbons. Je lui demande en mongol (phrase noté sur mon petit papier) comment elle s’appelle. Elle nous répond Tsetsegee (prononcé Titské). Puis nous tend à chacun un verre d’aïrag (lait de jument fermenté). L’odeur n’est pas évidente, mais le goût passe, sauf pour Lara (notre copine qui nous a rejoint pour la fin de notre voyage, et qui ne va pas le regretter !).
Nous tentons de remercier Tsetsegee en mongol, mais la prononciation est telle qu’après une semaine nous n’y arriverons toujours pas vraiment. Heureusement elle parle un tout petit peu anglais, ce qui va nous permettre d’échanger quelques bribes de conversations.
« One baby, one cashmere, one sheep », les tâches sont établies. Nous voilà transporté pour 7 jours dans la vie nomade, sans eau courante, un panneau solaire pour énergie, avec des températures en-dessous de zéro, au milieu des steppes infinies, à tenter de comprendre notre hôte, qui va pas mal nous déstabiliser.

Une heure et demie de marche pour arriver à la rivière.

Comment vous raconter ce que nous avons vécu, d’autant plus que chacun de nous trois l’a vécu très différemment ?
Nous nous sommes poussés dans nos retranchements, certains à cause du froid, du manque de confort ou d’hygiène. D’autres parce que le travail à fournir était intense, en encore parce qu’on n’a eu aucune intimité, partageant une bonne partie de nos nuits avec cette petite famille.
En revanche un point nous a tous les trois posé question : comment réussir à créer un lien avec Tsetsegee alors qu’elle semble n’utiliser aucun des signes non-verbaux dont on a l’habitude… le processus va être long. Avec son mari Munkherdene c’est différent. Il est assez avenant, confrontant même Vincent dans une lutte mongole au milieu du bétail.

Tsetsegee et Munkherdene avec leur fille Gangansuwd.
Munkherdene et sa mère apportant les petits à leurs mères.
La grand-mère surveillant que les bébés tètent bien leurs mères.

 

La première journée de travail commence. Trois tâches quotidiennes nous incombent. Chaque jour nous tournerons plus au moins, histoire d’essayer tout. Ce matin-là, Lara s’élance pour 6h dans le froid et le vent de l’immensité qui nous entoure, telle une bergère, pour garder son troupeau de 66 mères chèvres et brebis. Elles vont pâturer, mais elles ne doivent pas aller trop loin, ni trop dans les montagnes, gardant de l’énergie pour allaiter leurs petits à la fin de la journée. Lara frigorifiée profite de ce moment de solitude, y trouve du plaisir, et finit par parler avec ses animaux quand le temps se fait long.

Le pâturage des chèvres et moutons.

De son côté Vincent part au chaud dans la yourte avec « baby », Gangansuwd la petite fille. Il est nounou pour la journée. Découvrant que « doudou » veut dire « agneaux », et qu’elle veut toujours aller les voir, alors qu’il fait trop froid pour elle dehors.

Gangansuwd.
Gangansuwd devant les doudous.

De mon côté je suis dans l’enclos où nous avons réuni toutes les autres bêtes. Tsetsegee me montre les chèvres que je dois attraper et attacher. Munkherdene met son pouce en l’air avec le sourire jusqu’aux lèvres. Apparemment je m’en sors bien, ça me réjouis. Elle en choisit une dizaine. Ce sont les chèvres que nous allons ensuite peigner pour récupérer le cachemire caché entre leurs poils. Les autres bêtes vont pâturer et Munkherdene les amène jusqu’à la rivière au loin avec son cheval pour qu’elles boivent. Je me retrouve alors avec Tsetsegee et l’oncle toute la journée. Je me dis que c’est une belle occasion d’échanger avec elle, mais son visage est tellement fermé que nous n’échangerons que très peu de choses autres que pratiques.

Session cachemire.

Au soir, dans la yourte des grands-parents, Munkherdene lance la pesée. À chacun de deviner quel est le poids du sac de cachemire. L’atmosphère se détend, Tsetsegee sourit, son visage semble métamorphosé. Nous en profitons pour échanger un peu.

Le sac de cachemire.

Le matin il se passe pleins de choses avant de sortir travailler. Il faut faire le feu. Il en va de notre survie à tous… dois-je rappeler que nous sommes sur du -15 la nuit ? Ça veut dire aller chercher du caca d’animaux séché qui est notre combustible. Allumer le feu. Et ça n’est pas comme notre bois qui brûle longtemps ! Le caca, ça crame vite, il faut donc surveiller pour ne pas qu’il s’éteigne. Notre phrase récurrente deviendra « Faut remettre de la merde ! » Et on trouvera ça normal.
Sur ce feu, tu fais bouillir de l’eau (que tu as récupéré dans le tonneau à l’extérieur. Un matin nous entendrons d’ailleurs Lara briser la glace) pour faire le thé pour la journée. Seul moyen de t’hydrater. Ensuite il faut préparer le petit déjeuner. Lara se souviendra pendant longtemps du premier que Tsetsegee nous a préparé ! Elle venait de gratouiller des os de moutons pour en récupérer des petits bouts de viande, et pendant qu’elle préparait la suite, elle nous a dit « eat ». Alors nous avons chacun pris un petit bout, pas de chance pour Lara, elle a visé un nerf. Se rendant compte du problème alors qu’elle le mâchait, elle s’est dit « Je vais l’avaler direct pour me débarrasser du problème. » C’était sans prévoir qu’à 8h du matin, son corps a plutôt décidé de se contracter totalement… petite régurgitation… j’ai eu peur pour elle.
A suivi une sorte de soupe de pâtes au mouton. Il faudra nous y habituer car nous alternerons pâtes au mouton et mantuus. Ces derniers, plutôt bons, sont un mélange de farine, eau, levure, le tout légèrement sucré et cuit à la vapeur. Lara insistera sur le fait que les mantuus c’est vraiment bon ! Et que d’ailleurs elle aimerait bien apprendre à les faire !
En revanche même les mantuus ont un peu le goût du mouton.. tout a le goût de mouton en fait car la vaisselle se fait ensuite dans la même gamelle. Tu fais à nouveau chauffer de l’eau sur ton feu, et quand elle est chaude, tu frottes ta vaisselle… Mais la graisse de mouton ça s’accroche !

La yourte au lever du jour, la lune allant rejoindre l’autre hémisphère.
L’intérieur de la yourte.

Entre temps tu es sortie dehors pour faire ton petit trou dans le sable pour y déposer ce que ton corps rejette. Chacun ayant choisi sa direction, comme pour garder un petit peu d’intimité alors que tu ne pourras compter sur aucun arbre, ou aucun buisson pour te cacher. Tu as le soleil rouge qui se lève face à toi, la montagne qui change de couleur, les animaux qui commencent à s’éveiller. Quelques petites souris courent déjà tout autour. Au loin tu aperçois Munkherdene déjà parti chercher son cheval qui s’est éloigné dans la nuit.

Et une nouvelle journée de travail commence. « He » (Vincent) fera le cachemire, « She » (moi) ira avec les 800 chèvres et moutons dans les steppes, et « Tall » (Lara) s’occupera de « baby ». Tsetsegee a eu du mal à comprendre et retenir nos prénoms, nous appelant avec ces petits surnoms.
Nous avons vécu deux fois des déjeuners absolument adorables dans la yourte des grands-parents. Alors que la grand-mère nous servait à nouveau un bol de soupe aux nouilles, le grand-père, trop content de lui, mettait France 24 sur la télé. Lara hallucinée de regarder le même programme quasiment en même temps que son chéri resté en France, alors que nous sommes au milieu de la Mongolie.
Et même s’ils ne parlent pas l’anglais, ils s’intéresseront à la suite de notre voyage. Et puis la grand-mère nous servira des gâteaux secs et du yaourt, nous expliquant même comment elle les avait fait.

Le grand-père devant sa yourte.

À force d’observation, nous commençons à prendre le rythme et les habitudes de cette vie. Des repères s’installent, et nous prenons quelques initiatives à présent.
Petit détail qui a son importance pour la suite de l’histoire, nous avions acheté une carte sim locale pour pouvoir téléphoner au chauffeur ou encore organiser la suite du voyage. Mais jamais nous n’aurions pensé que Munkherdene l’utiliserait pour appeler Tsetsegee (partie au village pour vendre le cachemire) afin de lui demander où se trouvait la levure ! Car oui, même dans une yourte minuscule, le mâle ne s’est pas où se trouve la levure ! Et pourquoi de la levure me dites-vous ? Parce que Lara, à force de vouloir créer un lien avec Tsetsegee, a appris à faire les mantuus ! Et ce matin, elle se lance et réalise ses premiers ! Et c’est une réussite, validé jusqu’à la grand-mère et Tsetsegee elle-même ! Fierté !  Un début d’autonomie dans la vie nomade.

Confection des mantuus.

Ainsi, nous avons petit à petit tentés de créer du lien, sans jamais vraiment être certains d’y arriver, doutant toujours que ça prenne. Un soir, nous avons offert une tournée de saké (reste du Japon), et les discussions ont commencé. Mais notre dernier soir a été mémorable. Tsetsegee nous a offert à chacun une petite chouette : une qui cache ses oreilles, une ses yeux et une sa bouche. Symboles bouddhistes. Ce cadeau nous a touché, car il semble représenter tout ce qu’elle n’a pas exprimé pendant notre séjour.
Puis nous sommes allés de surprises en surprises. Lara a sorti une bouteille de champagne qu’elle a rapporté de France exprès pour cette occasion. Puis Tsetsegee nous dit qu’elle avait aussi une surprise, et sort de son placard un pot de prunes au sirop. Puis Munkherdene nous surprend lui aussi en faisant apparaitre une bouteille de 2 litres de bière. La petite qui ne parle pas encore, nous sort le mot anglais « happy ». En réponse je dégaine le téléphone pour leur faire écouter la musique de Pharell Williams « Happy », qui finit par faire danser tout le monde dans la yourte.

Et c’est après une dernière sortie pour profiter du ciel étoilé et du lever de la lune pleine, que nous nous couchons. Le lendemain matin Munkherdene nous fera faire un petit tour de cheval à chacun, et notre chauffeur arrivera. Pas d’embrassade, pas de sourire, mais Tsetsegee, son bébé dans les bras, nous dira « Baby says, she loves you. » Peut-être que c’est elle qui nous le dit… peut-être…

Maeva


  • Votre reportage m’a beaucoup touché, ému, surpris… Déjà j’imaginais bien les paysages de Mongolie comme cela mais beaucoup plus vert (peut-être est-ce l’hiver là-bas). Et puis plein de questions me viennent : que mangent les chèvres et les moutons car l’herbe sèche semble bien rare ? Où avez-vous appris les traditions mongoles pour ne pas faire d’impair en entrant dans la yourte ? Comment faire un trou dans le sol qui doit être assez gelé vu les températures ? Quelle difficulté de communiquer quand même le non verbal (80% de la communication tout de même..), ne passe pas. J’ai aussi été étonné et déçu de voir que, même en Mongolie, pays que j’imaginais vierge de toute pollution humaine, cette dernière reste toujours, toujours aussi présente. Les mongols sont magnifiques (tout du moins cette famille).
    Chapeau à vous trois car, loin de notre confort occidental, vous avez osé vivre une aventure unique faite de rencontres particulières, de nourriture improbable, de travaux fatigants, dans un climat relativement hostile. Vous êtes bien loin de la douceur des iles sous le vent et ce sont tous ces contrastes qui font le charme de votre périple autour du monde.

  • > La Mongolie est un pays verdoyant, mais en été, après la pluie. Nous ne la verrons pas ainsi. Elle restera jaune dans nos yeux.
    > Les bêtes ont effet très peu de choses à manger mais ça à l’air de suffire. Elles grignotent les petits buissons secs.
    > Nous avons appris les traditions mongoles en lisant d’autres articles de voyageurs.
    > Concernant le trou dans le sol, pas de soucis, c’est du sable et il n’est pas gelé !