Tenter de nous comprendre

Tenter de nous comprendre

Nous avons été de villes en temples et de temples en ville, arpentant les rues aux buildings vertigineux d’Hiroshima, puis croisé des quartiers de petites maisons au bord d’un ruisseau et fait une pause silencieuse dans un temple bouddhiste à Kyoto. Passé devant les plus improbables devantures de restaurants à Osaka et arpenté les magasins dans des rues couvertes sur des centaines de mètres. Mangé dans des izakayas, des obanzais, dans des bars à sushis, craquant sur une glace au matcha thé, et sur des petits gâteaux gélatineux. Dormant dans un ryokan sur des futons, ou dans un des pires dortoirs de notre tour du monde. On a pris beaucoup de métros, de trains, de Shikansens (comme des TGV mais avec un look futuriste). Dégusté du saké, trinqué avec un homme au look de femme mais précisant qu’il est un homme, salué l’originalité de l’happy hour « champagne-gyosas », eu une conversation profonde avec un barman sans parler la même langue, tout en découvrant le shoshu (alcool de patate douce). Puis grimpé à pieds le Mont Misen, le Mont Kurama, entre cèdres centenaires et petits jizôs. Découvert le shintoïsme, médité avec des moines bouddhistes, et eu des conversations infinies sur la vie, le monde, la philo avec Alex.

Voici une photo pour que nous reprenions tous notre respiration…


Jizôs, représentations d’un bouddha, dédiés en particulier à la protection des enfants et des voyageurs. On leur confectionne des vêtements en guise d’offrandes.

 

Avec toute cette densité, nous aimerions structurer notre pensée, mais elle part dans tous les sens. Voici donc un « pot pourri » (non ce mot n’est pas utilisé suite à un pari) de notre expérience au Japon. Notre premier étonnement est sur le paradoxe des japonais. Attention, ce paradoxe est une vision de deux occidentaux, baignant dans une autre culture. C’est donc un point de vue subjectif et bienveillant. On essaie simplement de comprendre.

 

Cascade Kegon, à côté de Nikko.

 

Pourquoi, alors que les japonais sont très discrets et assez timides dans leur rapport humain, ils font tant de bruits en mangeant ?
Et plutôt que de se moucher car ça ne se fait pas en public (ce que nous arrivons à comprendre) pourquoi ne pas aller aux toilettes vider leurs surplus nasaux plutôt que de renifler pendant les deux heures de train ? Engendrant parfois dans le métro un concerto en snif mineur.

Et pourtant la société japonaise est très portée sur la politesse. Ils disent dix fois plus merci que nous, et tu n’auras jamais le dernier mot quand tu leur dis au revoir… les salutations peuvent donc durer longtemps si tu es tenace !

 

Pont Shinkyo à Nikko

 

Autre paradoxe, ils font partis des 20 pays les plus denses au monde, avec une population frôlant les 130 millions d’habitants, et pourtant on n’y trouve presque pas de poubelles… Le paradoxe me direz-vous ? Ben c’est le pays le plus propre que nous ayons fait dans notre tour du monde ! À chaque arrivée dans un bar ou un restaurant, on te propose une petite lingette pour te laver les mains, il y a toujours savon, shampoing et après-shampoing, même dans la plus moyenne des chaumières. Il y a très souvent des brosses à dents à disposition, des rasoirs, et nous avons même vu dans des toilettes de bars des cotons tiges, et du bain de bouche en dose individuelle. Les cure-dents sur les tables sont aussi dans leur sachet individuel… Pourtant, il n’y a pas de déchets partout dans les rues, pas de papiers qui trainent, rien ! Et paradoxalement (je vous ai dit qu’on était dans ce thème ?), tous leurs achats alimentaires sont sur-emballés, à l’individuel. Et comme ils aiment les beaux emballages, tout ce qui est à offrir (notamment tous les gâteaux), sont en plus emballés dans un joli paquet cadeau. Autant vous dire que les caissières riaient un peu quand on leur faisait signe qu’on ne prenait pas de sachets plastiques car on avait notre sac en tissu…

 

Paquet cadeau des gâteaux achetés.

 

Mais tant de propreté n’empêche pas les fumeurs de jouir de ce plaisir dans les bars et restaurants. C’est d’ailleurs une des seules fois de notre tour du monde où nous avons vu cette pratique encore en action. À l’inverse, dans les rues il est interdit de fumer, à tel point que certaines zones sont délimitées, parquant les fumeurs dans un aquarium, tels des carpes rouges dans leur bassin (une telle comparaison n’est là que pour utiliser la photo suivante, chère à Vincent).

 

Photo chère à Vincent.

 

Ils ont un espace assez restreint, obligeant les immeubles à pousser vers le ciel, engendrant parfois des rues très étroites, sans trottoir, où piétons, vélos et voitures doivent cohabiter, non sans mal. D’ailleurs les voitures sont adaptées à cet espace.
Mais étonnamment ils existent plusieurs compagnies de trains, avec chacune ses gares et ses rails…

 

Un des modèles de Shikansen.
En-dessous, des ambiances dans Kyoto.

 

Une chose m’a marqué fortement. Leurs fenêtres. Je n’arrive pas à savoir si c’est par pudeur, ou pour créer un cocon, mais elles sont très très souvent opaques. Même au huitième étage. Dans les ryokans elles ont de petits rideaux de bois et il y aura toujours les rideaux tirés. Bref, on ne voit jamais l’extérieur ! Et donc désolée pour les curieux, jamais l’intérieur non plus. Autant vous dire que j’ai un peu étouffé, moi, dont la première action dans une nouvelle chambre consiste à aller vers la fenêtre pour voir la vue.
Et ça n’a pas été évident de rentrer dans des restaurants ou des bars, car tant que tu n’as pas passé le petit rideau et la porte coulissante opaque, tu ne peux pas savoir ce qui se passe à l’intérieur… grosse ambiance ou solitude, jolie déco ou vaut mieux fuir… il faut oser, tenter et espérer que ce soit sympa.

 

 


Une fois, à Hiroshima, nous sommes descendus au sous-sol d’un immeuble, coulissés la porte (oui ça coulisse beaucoup au Japon > gain de place !), et nous sommes arrivés dans un bar aux murs noirs, avec cinq tabourets et un mec derrière le bar. Il y avait trois canapés rouges dans un espace délimité par des murs rouges. Ma première sensation n’a pas été la confiance. Personne d’autres que nous. On s’assoit et nous nous retrouvons avec un barman qui ne parle que quelques mots d’anglais. Il engage la conversation malgré tout, grâce à Google traduction. Et c’est parti pour 2 heures hallucinantes. J’avais commandé un shoshu (sorte d’eau de vie à base de patate douce), il nous offre deux autres alcools de ce genre pour goûter. Puis nous demande si nous avons mangé la spécialité de la ville : les takoyakis. Non, car nous venions d’arriver. Il nous traduit sur son téléphone qu’il va nous faire un cadeau. Il appelle quelqu’un. Et une dizaine de minutes plus tard, un livreur dépose sur le bar un plateau de ces petites boules de pâte avec, en leur cœur, un morceau de poulpe. Délicieux. Il nous écrit sur un papier la composition du mot. « Tako » c’est « poulpe » et « yaki » c’est « grillé ». Et nous décompose une autre spécialité que nous avons déjà mangé moult fois car trop bon : les okonomiyakis, « okonomi » voulant dire « ce que tu veux » et « yaki » « grillé » car ce sont des sortes d’omelettes avec du choux et pleins d’autres choses qui cuisent devant toi sur une plancha.



La discussion avec Takayuki continue, plus profonde, sur son pays. La peur d’être confondu avec les chinois « Prenez soin des japonais, on n’est pas comme les chinois ». Puis il passe un coup de téléphone, en japonais, et me tend l’appareil. Une fille à l’autre bout me dit en français : « Il me dit de vous dire qu’il est très heureux que vous soyez dans son bar, qu’il est très content d’avoir trois français comme vous, qui ont pris le temps de passer la soirée avec lui. » Je lui dis de lui dire que nous sommes très heureux de ces échanges et de cette rencontre. Il raccroche, ravi, et nous explique que c’est une amie à lui qui vit maintenant en Provence. Nous finissons par prendre congés de lui, et contre toute attente, il nous sert la main. Ce qui n’arrive pas souvent au Japon !
Cela suffit à nous rendre heureux pour le reste de la soirée ! Il nous a proposé une autre image des japonais. Car lorsqu’on voyage ou qu’on rencontre des voyageurs, on ne se rend pas forcément compte à quel point nous sommes des ambassadeurs de notre pays.

Maeva


Au-dessus, ambiance de Kyoto.
En-dessous, hommage à Monnet. Vue depuis notre dernier hôtel à Nikko.

  • Beaucoup de situations paradoxales en effet, mais le paradoxe n’est-il pas le propre de l’homme ? Prenons en France pour pouvoir comparer : on se plaint que l’Etat ne fait rien pour les citoyens et en même temps le citoyen ne veut pas payer d’impôts…. On entend beaucoup les gens se plaindre du bruit, de la foule des grandes villes, mais lorsqu’ils vont dans des endroits plus retirés, ils ne supportent pas de ne pas avoir tout le confort à portée de main… On dit qu’il faut faire du sport pour s’entretenir et vivre mieux, mais on prend sa voiture pour faire 2 kms… Vous en voulez encore ? On crie au scandale quand un pétrolier se déverse sur nos côtes, mais on jette nos papiers sales de la fenêtre de nos véhicules…. Etc.
    Les paradoxes des japonais sont semble-t-il différents des nôtres mais ce qui nous rend humain, et nous réunit dans la grande famille que l’on nomme l’humanité, c’est bien la même démarche paradoxale que nous partageons dans notre vie quotidienne… C’est aussi ce qu’on appelle le Ying et le Yang et qui représente l’équilibre du monde, non ?…