Impressions soleil levant

Impressions soleil levant

Je ressens un mot depuis que nous avons posé les pieds dans le pays du soleil levant : le contraste. Évidemment le premier contraste est celui que nous vivons dans notre corps. Nous avons éliminé la journée du 22 février 2019, et passons directement au 23 février, en quittant une petite île (environ 178 000 habitants) pour une gigantesque mégalopole (presque 14 millions d’habitants) : Tokyo. Nous retrouvons les yeux bleus de notre copain Alex, qui se démarquent indéniablement des yeux noirs des japonais. Les tongs sont rangées au fond du sac au profit de la doudoune, que Vincent porte rouge, comme un coquelicot au milieu du charbonneux métro.

 

Mais le contraste est surtout dans ce que nous propose ce pays. Le premier est d’ordre sonore. Dans le métro, une foule compacte, de noir vêtue, se meut à un rythme cadencé. Le bruit des pas dans les escaliers donnent le tempo. La foule silencieuse, dense, impressionnante bouge comme une nuée d’oiseaux. Elle m’impressionne d’autant que beaucoup de visages sont cachés derrière des masques blancs. Masques altruistes, évitant de partager à son voisin ses microbes. Mais masques qui m’effraient car ils me cachent la bouche, le nez de l’autre, celui que je suis venue rencontrer. Cette percussion des pas, comme le métronome du quotidien, est bouleversé par les sons parasites, forts, agressifs. Celui des annonces dans les enceintes, celui des alarmes qui annoncent l’ouverture des portes, celui qui rythme la sortie des gens puis leur entrée, puis la fermeture des portes, le bip de l’ascenseur en continu… Et nous qui voulons bavarder, nous en sommes réduits au silence, car impossible de s’entendre. A l’inverse du métro parisien qui le soir venu est chatoyant de discussions, les tokyoïtes restent silencieux, sans même échanger des « Pardon, excusez-moi. Oh désolé ! Je peux m’assoir ? » Tout s’orchestre par le mouvement des corps sans bousculade par ailleurs.

 

Quartier d’Asakusa
Quartier de Shibuya
Quartier Shinjuku

Le contraste me saisit également quand je vois l’image que je m’étais faite de Tokyo à travers les films et les livres, et ce que je découvre. Je croyais voir des petites maisons au toits pointus et des petits jardins tout bien taillés. J’en vois et j’en verrai encore en province, mais là je vois surtout une ville à perte de vue, piquée de buildings défiant le vertige. Ils s’illuminent jour et nuit de publicités géantes dont le son résonne entre deux rues. Nos yeux sont saturés d’informations en kanji et en kana, illisibles pour nous. Nous qui devons rester concentrés pour slalomer entre les gens, sans oublier de marcher côté gauche.

 

Quartier Shibuya

C’est une ville qui me captive mais qui m’épuise et m’énerve. Mais elle offre mille opportunités de s’arrêter pour un petit café, un apéro, un repas. Tout ce qui rend heureux un français ! Mais la suite de l’histoire est étonnante. Mathilde et Vivien nous avait prévenu, on l’a vécu ! Nous nous faisons refouler de cinq restaurants avant que le sixième nous accepte. « On ne parle pas anglais » dit dans un anglais impeccable. « Il n’y a pas de place. » « Il faut attendre deux heures. » « Members ! » « Nous n’avons pas de menus en anglais. » Mais on s’en fiche, on est prêt à choisir au hasard sur une carte qu’on ne comprend pas, parce que c’est aussi ça le voyage. Mais comme je parle de contraste, l’expérience continue parce que ce sixième restaurant nous accueille de manière incroyable avec un cri de bienvenue de la part de la serveuse, suivit de tous les cuisiniers derrière le bar. Très chaleureux, le sourire jusqu’aux lèvres ! On s’installe et le bonheur reprend sa place à nos côtés !

 

Quartier des petits bars de Shinjuku
Quartier Shibuya

Les petits plats arrivent et le contraste avec. Le contraste visuel entre de l’aneth verte et une airelle rouge. Une texture gélatineuse chaude qui cache à l’intérieure une fraiche moelleusité. C’est une explosion en bouche. Un mélange de sucré, de salé, on ne sait pas exactement ce que nous mangeons mais c’est incroyable. C’est peut-être ça qui est appelé : l’umami. Sa traduction « goût délicieux » est en fait considérée comme une cinquième saveur. C’est là que la culture japonaise me parle vraiment. Nous parle à tous les trois. Nous allons de découvertes en découvertes. Et nous poussons le bouchon du saké en nous offrant une dégustation. Trois sakés complexes, d’une finesse qui nous bouleverse. Un véritable étonnement qui nous fait nous dire que le saké que nous trouvons en France n’est vraiment pas bon du tout.

Et puis notre curiosité nous emmène jusqu’aux enchères du marché au thon où en une heure de temps tout était vendu. Pour rappel, le 5 janvier dernier, le record mondial a été battu avec un thon rouge de 278 kilos à 2,7 millions d’euros. N’oublions pas que le Japon est le plus grand consommateur de ce poisson au monde, à tel point que la quantité pêchée est supérieure à sa capacité de renouvellement. Mais comme nous sommes paradoxaux, et que l’envie de découverte est forte, je m’en veux de la suite de ce texte.

 

Nous sommes allés déguster à 9h du matin des sushis fait par un maître, devant nos yeux. Moment unique. Nous étions tous les trois alignés face au maître qui découpe, de son couteau affûté, les tranches de poissons. Lave sa lame plusieurs fois. Forme de petites boules de riz dans le creux de sa main et vient délicatement y poser les tranches de poissons. Je savoure de mes yeux ses gestes. Nous attaquons la dégustation. Le maître reste là, à nous regarder manger. Au départ nous sommes un peu gênés, mais il se passe un échange de regards absolument merveilleux. Nous nous régalons et lui se délecte de nous voir nous régaler. Il a le sourire jusqu’aux oreilles. Et nous aussi. A la fin de cette explosion de saveurs, je prends mon petit papier où j’avais noté quelques phrases en japonais et je lui dis « gochisousama deshita »  qui veut dire que je le remercie pour le repas. Je crois que son bonheur était à son paroxysme. Pour nous aussi. Beau moment d’échange sans parler la même langue.

Maeva


  • Je m’étais demandé ce qui vous avez amené à poser vos sacs à dos au Japon et plus particulièrement à Tokyo car je ne trouvais pas cette partie de votre voyage dans l’esprit “cestbeauçà”. Le début de votre reportage me l’a confirmé. Trop de bruit, trop de buildings perdus dans les nuages de pollution, trop de monde partout, tout le temps… Et puis je me suis petit à petit laissé accompagné par les mots de Maeva et j’ai (presque) trouvé du plaisir et de l’envie à partager vos rencontres et ces plats magiques et mystérieux.
    J’ai été surpris d’apprendre aussi que l’on marchait du côté gauche, comme en voiture et, à bien y réfléchir, nous avons aussi souvent ce même réflexe, certes inversé chez nous, à marcher à droite. Les sushis préparés devant soi, c’est top. Je l’avais déjà vu dans les films et j’étais impressionné par la dextérité des maîtres. Vous, vous l’avez vécu en direct. Je ne savais pas qu’il y avait plusieurs sortes de saké. pour moi c’était une simple eau de vie de riz, sans arôme particulier. Il faudra essayer d’en trouver dans les magasins spécialisés car je présume que vous n’en ramènerez pas…. Bisous

    • Pour le saké, oui nous avons été très étonné de cette découverte. En France on nous sert toujours ce truc de riz pas bon alors que c’est d’une finesse incroyable ! On a appris qu’en France un homme en faisait. Notre copain Alexandre, grand passionné de vin, c’est bien passionné pour le saké maintenant. Il est sur le coup pour s’en fournir en France car oui, nous ne rentrerons pas avec des bouteilles dans le sac à dos. Par contre nous avons acheté dans les petits verres ! On s’en est fait toute une collection trop belle !