Des moutons chez le coiffeur
Un ami réalisateur et scénariste me racontait que dans la vie réelle, il se passe parfois des choses tellement incroyables qu’on ne peut pas les retranscrire au cinéma car personne n’y croirait. Ce que nous avons vécu ce jour-là était dans cet esprit.
La scène se passe en Nouvelle-Zélande, dans la vallée de Whitemans, chez Carolann où nous sommes en woofing pour deux semaines. Elle possède une ferme dont la seule source de revenus se joue entre janvier-février, avec la récolte des myrtilles. Elle a deux chiens, Fred et Wilma, quatre vaches, trois moutons, des poules, une MG décapotable bleu électrique qu’elle souhaite repeindre en rouge. Elle adore le rouge. Dans sa maison le canapé est rouge, les assiettes sont rouges, la douche a été installée dans une cabine téléphonique peinte en rouge, et dans le jardin, elle a un wagon rouge. Carolann vit seule, gérant sa ferme avec pour aide des gens comme nous. Elle est créative, a un humour sans borne et une énergie plus que débordante. Elle pourrait tout à fait être un personnage de film.
Dans notre séquence du jour elle est un personnage secondaire, tout comme Tessa et Cécile, deux autres bénévoles avec qui nous partageons la semaine.
Scène 1- extérieur jour – champs derrière la maison. Nous établissons le plan GATE ONE. Le but de la mission ? Redescendre de la colline les trois moutons. Objectif ? La tonte.
Cécile se poste au GATE ONE, bottes en caoutchouc plantées dans la boue. Carolann, Tessa, Vincent et moi nous répartissons dans le champs afin d’encercler, à pas feutrés (pas facile avec les bottes en caoutchouc taille 42) ces chères bêtes. Le premier mouton, malin comme un petit singe, flaire le coup. Il nous fait face. Il nous regarde, on le regarde, il nous regarde, et tel un Zizou, fait une première feinte vers la droite. Puis file à toute vitesse vers la gauche, passant pile entre Tessa et moi. On découvre alors la dextérité moutonne.
Nous passons à la vitesse supérieure avec Carolann qui crie « Run Vincent, run ! » Alors on court, sous le bruit de succion des bottes dans la boue. La difficulté est de ne pas les effrayer, car une des brebis est très vieille, et a une fragilité dans les pattes. Si elle s’en casse une, il faudra l’abattre. Comme on est des gentils, on veut éviter cette situation.
Bras écartés pour paraître plus grands, nous avançons à nouveau tout doucement, dirigeant de mieux en mieux les moutons vers le portail numéro 1. Mais près du but, ils changent leur direction totalement. Carolann fait signe que nous passons au plan GATE TWO. Mais un d’eux arrive à nous esquiver. Tant pis, comme un mouton c’est con, si on garde les deux autres près du portail 2, il viendra rejoindre ses copains. Nous patientons un peu, histoire qu’ils se calment. Leur respiration est très rapide, ils vivent un moment de stress. La plus vieille nous inquiète vraiment. Nous arrivons à leur faire passer le portail 2, mais elle tente de s’échapper.
C’est alors que le personnage principal arrive. Celui qui ne pourrait pas être dans un film… Les cheveux blancs, une grosse barbe blanche, un âge qui ne se compte plus, une casquette sur la tête, des lunettes sans époque, un pantalon dans un état pas possible, braguette ouverte. Carolann nous avouera plus tard qu’elle ne l’a jamais vu braguette fermée. C’est LE tondeur. Il se prénomme Derrick. Ça ne s’invente pas ! Avec lui le temps se dilate…
Il décide d’attacher les pattes de la vieille brebis en l’allongeant au sol pour éviter qu’elle ne coure encore. Puis il disparaît. Carolann le suit. Nous attendons. Les deux autres moutons aussi, cachés derrière un arbre, observant la scène sans bouger. Nous attendons longtemps. La brebis, au souffle rapide, essaie de détacher ses liens. Nous tentons de la calmer. Nous attendons encore…
Carolann revient. Son visage s’est durci par l’énervement. Derrick a décidé de « fabriquer » un meilleur portail dans la zone de tonte. Nous attendons donc qu’il termine sa construction, nos visages inquiétés par cette pauvre brebis priant pour son sort.
Derrick finit par réapparaître. Nous portons la brebis jusqu’à la zone de tonte. Mais contre toute attente, il nous demande également d’apporter les deux autres moutons. Ils leur attachent les pattes pour éviter qu’ils ne s’échappent. Les voilà tous les trois prêts à passer chez le coiffeur pour bien dégager derrière les oreilles. Nous sommes vraiment excédés par la lenteur de cet homme qui a encore disparu.
Quand soudain, il réapparait… dans une mini Austin jaune. Ça non plus ça ne s’invente pas. Il gare sa voiture dans la zone de tonte. On ne comprend absolument pas ce qu’il fait. Il sort de la voiture… et nous observons son spectacle…
Sur le moment nous oscillons entre envie de rire et dépit pour ses pauvres moutons qui attendent. Carolann finit par partir pour éviter de le tuer. Il va mettre un temps inouï à monter sa machine par un ingénieux système sur son toit de voiture. Puis à mettre sa tenue, puis mettre des planches de bois au sol. Planches qui penchent un peu. Il va donc les caler avec des sacs. Tester à nouveau la stabilité. Le soir, ce sera le fou rire général en repensant à son vieux pantalon mis pour protéger son autre vieux pantalon, toujours braguette ouverte. On se demande encore pourquoi il ne s’est pas préparé avant qu’on attache les moutons…
Bref. Il est prêt, la tonte commence. Et doucement, délicatement il libère petit à petit les moutons de leur laine, paressant à présent tout frêles. Trois heures sont passées depuis le début de notre mission.
Le film se termine par une séquence émotion. Carolann décide que se sera la dernière tonte de la brebis, trop vieille pour subir ce genre de moment. Elle vendra les deux autres laines et gardera celle-là en souvenir de 20 ans de bons et loyaux services. La brebis peut passer une retraite paisible sur ses pâturages verdoyants.
Maeva
PS : Ayant eu une mésaventure à Auckland, notre appareil photo est cassé. Toutes les photos (hormis celle de Carolann sur les toilettes) sont de Cécile Folope. Encore un grand merci à toi ! Retrouvez-la sur instagram : @Cilouesque.
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A mourir de rire cette aventure (car çà en est une)!! Des personnages qu’on ne peut pas inventer car la vie est bien plus étonnante que n’importe quel film. Pour ceux ou celles qui ne comprennent pas : les braguettes ouvertes, c’est juste pour aérer un peu car, vu le personnage, cela doit être plus que nécessaire….
Les photos sont très belles.