La contemplation
Dans ma démarche de tour du monde, il y a l’envie profonde d’apprendre à prendre le temps. Je dis « apprendre » car il n’est pas chose aisée de s’arrêter. Vous savez, cette fameuse phrase que je n’aimais déjà pas entendre : « Je n’ai pas le temps. » Dans un tour du monde d’un an, tu n’as carrément pas le droit de l’utiliser. Elle est bannie. À partir de ce moment, tu travailles sur l’arrêt. Et je dois dire que la beauté d’un paysage ou la sympathie de quelqu’un peuvent t’aider.
Nous étions sur nos motos-taxis à travers la Sierra Nevada direction l’écolodge Casas Viejas, perdu entre les arbres. Une grosse averse est arrivée au bon moment car nous arrivions à la finca Victoria. Nos pilotes s’arrêtent pour que nous nous abritions car ils ne veulent pas que nous soyons trempés. Nous attendons que la pluie fasse son travail. La Victoria est une ancestrale ferme de café qui aujourd’hui fait aussi des bières. Tout le système est hydraulique nous explique notre pilote devenu guide.
Un homme charmant, David, vient discuter avec nous et nous propose de prendre un café. Nous sommes un peu gênés par rapport à nos pilotes car on ne veut pas qu’ils perdent leur temps. Mais au contraire, cela ne semble poser de problème à personne. On ne nous pousse pas à la consommation, on nous pousse à prendre notre temps.
Je pense d’une certaine manière, que prendre le temps c’est contempler. Face à Bryce canyon aux États-Unis, ce paysage qui m’a pourtant soufflé, je me suis aperçue, moi qui pensais plutôt être une contemplative, que je ne l’étais peut-être pas tant que ça. Il m’a fallu un effort pour rester juste cinq minutes à observer, là sans marcher, sans être attirée par autre chose. Alors j’ai regardé autour de moi les gens, voir comment eux s’y prenaient. Et j’ai compté. Entre l’arrivée sur le lieu, le « Ouah ! », le selfie (qui te fait tourner le dos à la beauté), la demande à quelqu’un d’autre de prendre toute la famille en photo, les blablas, et le départ, il ne se passe pas plus de cinq minutes. Je n’ai pas vu plus de trente secondes d’observation continue.
À ce moment-là j’étais sans Vincent (la solitude aide, car il n’y a pas la tentation de l’échange), j’ai à nouveau plongé mes yeux dans le décor, mais cette fois-ci comme une militante de la contemplation. J’ai vu des détails dans le relief, dans l’enchaînement des couleurs, dans les petits feuillages poussant au milieu de la roche, tous ces détails que je n’avais pas vu pendant mes deux jours de randonnée (car la contemplation à mon avis s’exerce posée). Des sons sont venus chatouiller mes oreilles, descendant vers mes lèvres qui se sont mises à sourire. D’ailleurs lorsqu’on écoute, on peut s’apercevoir que le silence n’existe pas et que les bruits de la nature sont toujours parasités par les sons de l’homme.
À Yosemite, alors que nous marchions dans la montagne, de la vallée remontait le bruit de la climatisation du village d’accueil. En Namibie, alors qu’il n’y avait que la nature autour de nous, le ciel était bruyant car traversé par les avions. Je viens à l’instant de me déplacer parce qu’un jeune homme vient de mettre un film sur sa tablette sans prendre la peine de mettre des écouteurs. C’est marrant que cette impolitesse arrive à ce moment de mon article.
Une des principales raisons de mon départ de Paris est dû au bruit. Il était devenu une violence dans mon quotidien. D’ailleurs n’y-a-t-il pas des tortures qui imposent lumières et sons 24h/24 ?
Hier nous avons fait une heure bus, puis trente minutes de mini-bus, puis trente minutes de moto sur un chemin très escarpé à rééquilibrer les glissades dans la boue, afin d’arriver à l’écolodge. Vue splendide sur la vallée, des arbres partout, des papillons, des oiseaux, des fleurs. Une nature verdoyante et foisonnante.
Mais nous a fait bizarre que le lieu de vie, ouvert sur l’extérieur, diffuse de la musique, et en plus à des décibels au-dessus du raisonnable. J’ai toujours été gênée par la musique dans les parkings souterrains pour la même raison qu’ici. La peur du vide ? Mais quel vide ! Il y a une ambiance, une atmosphère, autant dans un parking que dans la nature. Pourquoi faire taire tout ça ?
Alors ce matin, à l’heure où tous les chats sont gris, nous sommes partis marcher tous les deux avec Lorenzo, un guide spécialisé sur les oiseaux. Nous avons contemplé la vallée se réveiller.
Le pivert à la crête rouge fait deux sons différents. L’un pour délimiter son territoire, l’autre parce qu’il mange. Le toucan jouait avec nous car on l’entendait sans parvenir à le voir. Les vertes et bleues perruches nous ont offert un concerto très contemporain, à la limite de la musique extra terrestre. Aucun son chez ce jeune rapace dont la moitié du cerveau dort, ce qui le fait somnoler sur une branche, la tête enfouie dans ses plumes. Les oropendolas, de leur queue jaune, m’ont fait deviner qu’ils étaient de la même famille que les corbeaux grâce à leurs cris peu avenants. Soudain, alors que nous grignotions des baies ramassées en chemin, sans rien dire, le toucan apparait. Et c’est notre guide que nous avons entendu, très heureux que nous puissions en voir un.
L’aube a laissé place à la matinée, le soleil chauffant la rosée. Les oiseaux se sont mis en arrière-plan, laissant les insectes entamer la mélodie.
Maeva
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La contemplation t’amène à la zénitude, au yoga, à la méditation… Passerez vous par le Tibet ?… Et Vincent dans tout cela ? Est-il dans la même démarche ou est-ce un « traceur » des cimes, ne s’arrêtant que pour répondre purement à des besoins physiologiques ?
Oui c’est compliqué de contempler car cela nous oblige. Nous oblige à stopper le passage incessant de nos pensées. nous oblige à nous poser, nous arrêter. Nous oblige à regarder, à écouter, à percevoir… Toutes ces actions que nous avons perdu dans un monde qui va toujours vite, trop vite. Qui nous asphyxie, nous étouffe et nous broie.
C’est une grande richesse que vous avez là et que vous avez perçu. Je vois qu’il faut du temps pour s’en rendre compte (déjà 5 mois de voyage) et pour décrocher.. Encore faut-il en avoir envie.
PROFITEZ et ne pensez surtout pas au retour….. Bisous du presque bout du monde… Je retourne VITE à mes occupations…..
Chose promise, chose due et me voilà 🙂
Un nouvel article qui fait encore une fois rêver. Depuis que je vous suis j’ai juste envie de faire ma valise et de marcher dans vos pas 😉
J’avoue ne pas avoir d’attirance particulière à la base pour la Colombie mais vous m’avez vraiment fait découvrir ce pays et maintenant j’au envie d’y aller ! Façades colorées, nature, café… Ce pays est fait pour moi !!! Merci de me l’avoir fait découvrir.
Profitez bien de votre passage en Amérique du sud !
Bises à vous deux.
Bon ba c’est encore beau ça ! La verdure ! Et vive la contemplation elle a bcp de vertues !