La Suisse, naturellement !
Voyager à l’autre bout du monde c’est peut-être rencontrer son voisin non ? C’est ce qui nous est arrivé à maintes reprises. Des français sympas avec qui on bavarde avec la vue sur le Machu Picchu. Ou alors sur un bateau entre deux îles polynésiennes, des grassois. « Bon, tu vois le Auchan après La Blaquière ? Ben derrière il y a un centre équestre. Je bosse là. » « Ah oui, ben ma sœur vit au Plan de Grasse donc je vois bien ! Mais tu étais à quel lycée ? Parce qu’on a le même âge ? » « À l’Amiral ! Tu connais peut-être machin ? » « Ah oui je vois. Je ne traînais pas avec lui mais on avait des amis en commun oui ! » « Bon ben vous venez prendre l’apéro avec nous ce soir ? » Et c’est ainsi que les rencontres se font. En tanguant sur un lagon bleu, à l’autre bout de la planète. Tu rentreras à une heure du mat’, dans la nuit noire, éméchés, en vélo, inquiétant un peu tes hôtes du Airbnb qui ne sortent plus à la nuit car « c’est trop dangereux, la route n’est pas éclairée » « Oui enfin on avait pris les frontales quand même ! ».
Ces rencontres de voyage sont belles. Mais il y en a des encore plus fortes. Celles qui vont durer dans le temps. Cécile par exemple. Notre voisine du quartier de La Chapelle à Paris, qu’on aurait eu plus de chance de croiser dans les bureaux d’une boîte de production qu’entourée de moutons, des bottes en caoutchouc trop grandes aux pieds, dans les pâturages New-Zélandais. Pourtant c’est en compostant de la crotte que notre amitié s’est forgée. Nous nous sommes ensuite retrouvés au Myanmar pour cinq jours. Elle est rentrée en France. Nous devions nous voir ce week-end mais finalement les grèves françaises rendent complexes nos retrouvailles. Le Myanmar était plus pratique !
Il y a aussi Julien, ami d’enfance, perdu de vue, puis retrouvé en Colombie. Nous nous sommes revus début octobre, autour d’une raclette dans la campagne tourangelle, campagne de notre enfance. Son père, ma mère, et deux de leurs amies de l’époque où nous vivions là. Nous nous sommes serrés dans les bras. Nous étions heureux de nous retrouver ici, alors que nous nous étions quittés sur le pas de sa porte à Pereira. Le rendez-vous est pris pour décembre. Il viendra à la maison quelques jours. On pourra alors lui rendre la pareil de son accueil simplissime et généreux.
Pendant notre voyage, nous avons passés cinq jours dans un désert, à délirer, marcher, rire, boire avec Jennifer et Lionel en refaisant le monde. Et lorsque nous nous sommes quittés, dans la ville la plus dégueulasse de Bolivie alors que Jenni avait l’oeil triplé de volume suite à une piqûre d’insecte, nous espérions profondément que cette histoire perdure. Les petits messages et les nouvelles continuent au fil du temps. C’est ce qu’il y a de plus difficile. On s’envoie de beaux paysages, des levers de soleil, des lunes qui sourient, et on finit par leur proposer de venir à notre week-end de retour. Ils habitent en Suisse. Ils viennent ! Nous sommes touchés et eux nous avouent avoir été touchés par notre invitation. Bref, on est tous touchés par ces émotions qui suffisent à démarrer une histoire. Et c’est entre un coucher de soleil et un arc en ciel de folie qu’ils nous renvoient la proposition « Vous venez quand vous voulez en Suisse ».
Cinq mois plus tard, le passage de frontière nous chatouille. Tiphaine nous prête sa voiture et nous voilà sur la route. Auxerre, Beaune, la traversée du Jura par Poligny, frontière de Vallorbe avec un douanier Suisse qui nous demande ce qu’on va faire. « Voir des amis pour le week-end. » « Vous avez de la marchandise ? » Ça compte le fromage et le vin ? Non ! Ce sont les bases ! Et nous voilà à sillonner les petites routes suisses, évitant ainsi d’acheter la vignette pour l’autoroute. Et puis c’est plus joli. L’automne est là, les forêts sont resplendissantes !
Et c’est à la fenêtre de la ferme familiale que nous retrouvons Jennifer et Lionel. Ils nous ont concocté un petit week-end à base de ce qu’on adore : la marche et la bouffe. Après un détour dans le cave de chez le papa voisin de l’autre côté de la route, pour constater que la chasse a été bonne… chevreuil pendu à l’appui. Nous visitons ensuite le four à pain. Ils sont en train de le rénover. Bannetons aux murs et outils en tout genre pour pousser les cendres ou récupérer les pizzas, l’histoire du lieu est racontée par l’état de ces objets. En attendant, les noix et noisettes sèchent patiemment.
Jennifer s’attèle au feu. D’après sa maman, c’est une histoire de femme dans leur famille. Sur la table, une feuille avec les étapes à passer. On ne fait pas cuire du pain comme ça. La brique noire du four deviendra blanche quand il sera chaud. Les braises seront ensuite poussées tout autour. La pizza tu y glisseras. Puis plus tard le pain tu cuiras. Notre gourmandise confectionnera aussi un gâteau à la poire. C’est autour de ces bonnes préparations que nous passerons la soirée en compagnie de la maman de Jennifer. Elle nous racontera qu’avant il y avait une grande bassine où l’on faisait cuire les pommes de terre pour nourrir les cochons. Le four chauffait quotidiennement.
Après un petit déjeuner (enfin un « déjeuner » comme disent les Suisses), à base de gruyère et de Maréchal (le fromage de par chez Lionel) nous foulons les flancs pré-alpins. Petite randonnée jusqu’au Moleson à 2002 mètres où une vue à 360° nous attend. J’avoue avoir une certaine émotion à retrouver les paysages des Alpes. Le temps dégagé nous permet de voir chaque vallée jusqu’au dominant Mont-Blanc. Première fois que nous le voyons de ce côté. Est-ce qu’un jour on ira le chatouiller de nos pas ? Ou est-ce qu’on se le garde tel un mystère ?
Arrivés au sommet, nous déjeunons (enfin nous « dinons » comme disent les Suisses) d’une soupe du Chalet pour Vincent, et de fameux röstis pour nous autres.
Nous redescendons et faisons une halte à l’incontournable Gruyère, Vincent découvrant que ce n’est donc pas que du fromage, mais bien un village (qui sent le fromage en revanche oui, fondue oblige) avec son château, ses petits restos, et ses meringues ! Nous apprenons par notre guide touristique Lionel, que les suisses, les français et les italiens font la meringue différemment. La base de blancs d’œufs montés en neige est la même, mais les suisses y incorporent du sucre glace monté au départ au bain-marie, les italiens les cuisent avec du sirop, quant aux français, nous battons la chamade avec du sucre. La française étant la plus simple à réaliser mais aussi la plus aérienne, l’italienne la plus complexe, la suisse plus à même pour réaliser des décorations. Je vous laisse donc essayer pour savoir laquelle vous préférez.
Le soir venu, Jenni et Lionel, nous ayant alléché par les odeurs de Gruyère, ne nous laissent pas sur notre faim. Ils nous préparent la fameuse fondue suisse pour le diner. Enfin pour le « souper » comme disent les suisses. Elle est plus crémeuse et onctueuse, je trouve, que notre fondue savoyarde. Et c’est un délice. Nous l’accompagnons de vin et de thé chaud car d’après nos hôtes, c’est une très mauvaise idée pour l’estomac de boire de l’eau froide. On les croit sur parole.
Puis l’heure du dessert est arrivée, l’heure de découvrir les meringues… Nous nous regardons tous dans le blanc des yeux, osant s’avouer à demi-mot que nous sommes repus. Nous validons le report de la manche « dessert », décevant Lionel qui est le plus courageux d’entre nous. Mais bon joueur, il accepte de reporter au lendemain.
Nous passons de l’autre côté du lac de Neuchâtel pour fouler la crête du Creux-du-Van, côté Jura. C’est un cirque calcaire de 200 mètres de haut. Nombreux promeneurs y viennent en ce dimanche ensoleillé, nous n’aurons donc pas la chance d’y croiser le lynx, mais paraît-il que c’est possible. Et après un dernier au revoir au Mont Blanc que nous apercevons encore, nous faisons une halte marron chaud à Yverdon, puis une seconde halte culturelle avec la magnifique rénovation en cours de la cathédrale de Payerne. Lionel nous raconte que c’est l’environnement dans lequel il a grandi, sa salle de classe étant sur cette place.
Une merveilleuse soupe de potimarron plus tard, et enfin nous voilà à la dégustation des meringues. Chacun sa technique : la garder entière ou l’effriter dans l’assiette car l’idée est d’y ajouter de la « double crème », qui est l’équivalent de notre crème fraiche épaisse mais avec au moins 45 % de matière grasse. Celle de Gruyère en contient généralement 50 %. Le dessert n’est pas complet si on n’y ajoute pas le « vin cuit », qui n’a rien à voir avec le vin cuit français. Ici c’est une sorte de mélasse, à base de jus de pomme ou de poire. Le goût n’est pas sucré et la couleur est brune. Ça se conserve des années. La préparation est faite, nous dégustons. Jenni et moi nous arrêtons à la première, notre dose gras/sucre étant atteint. Les gars se chauffent pour une deuxième… que Vincent regrettera. Lionel n’en mangeant finalement pas souvent, se fera un dernier plaisir avec une troisième. Jenni nous avouera ne pas manger comme ça dans leur quotidien, mais que pour ce week-end exceptionnel, ils voulaient nous faire goûter leurs spécialités. Ne serait-ce pas cela l’amitié ? Cette envie de partager, de faire à découvrir à l’autre qui nous sommes, et de se gorger de la différence de l’autre pour grandir, évoluer, penser au-delà ?
Maeva
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