Et le retour alors ?

Et le retour alors ?

Nous avons mis une semaine pour arrêter d’hésiter entre mettre le papier toilette dans une poubelle ou dans la cuvette. Nous avons mis deux semaines pour boire l’eau du robinet sans hésitation. Nous avons mis trois semaines pour trouver notre nouveau chez nous. Et à la quatrième semaine on ne comprend pas encore pourquoi on se lève le matin pour aller travailler. Un pied rationnel est content d’y aller, d’autant que nous aimons profondément nos métiers. Un pied rêveur est dans l’avenir, pour créer la suite de notre vie. Beaucoup d’idées ont germé pendant notre année hors temps. Aujourd’hui nous avons envie de planter les semis. Mais entre autres choses, le voyage nous a appris la patience. Alors en attendant, nous planterons des choux à la mode dans notre nouveau jardin, avec la mère Michel qui va retrouver ses deux chats.

Vincent, au travail sur le Giro en Italie. Photo de William Vernis.

Et alors ? Ce retour ?
 
Nos amis, notre famille, nos collègues sont là, présents, posent des questions intelligentes. Elles nous permettent parfois de verbaliser ce que nous n’avions pas encore verbaliser quant à nos expériences, notre évolution personnelle, et au sein de notre couple. Mais petit à petit le quotidien reprend le dessus et les discussions concrètes reviennent. Pour nous, le voyage et le bouleversement que nous avons vécu nous feraient en parler encore des heures durant. Mais c’est impossible. D’ailleurs comment parler d’un voyage en fait ? Ce serait trop de détails sur trop de sujets différents. Alors on en discute par petites bribes, en sachant pertinemment qu’au fond de nous c’est ancré. Qu’il y a un avant, un pendant, un après et probablement une continuité.
Certains nous on dit avoir été fiers de nous, ou impressionnés. C’est amusant et touchant de lire ça dans les yeux des autres. Mais nous ne l’avons pas vécu ainsi. C’était notre quotidien, notre normalité, pas plus compliqué à vivre finalement qu’autre chose. Nous avons même au contraire été très conscients du bonheur que nous nous offrions. Et je vous promets qu’il est facile d’accepter toute cette joie ! Nous avons joui de ce luxe de prendre le temps. Et nous souhaitons à chacun d’entre vous de vivre un jour cette expérience : l’oublier (ce temps). De ne plus savoir quel jour nous sommes, et de se demander si janvier n’est pas mars. La montre de Vincent a d’ailleurs eu la décence de vider sa pile assez rapidement.
Après évidemment, sur une année il y a des moments de doutes ou d’inconfort. Je me suis beaucoup posée la question du sens de ce voyage, de ce comportement égoïste que nous avions à partir ainsi, vivre notre vie comme on le souhaitait, sans contrainte, sans obligation. Avec le recul de ce mois en France, je réalise à quel point cela a été bénéfique. J’ai appris à regarder mes émotions, à les comprendre, à les exprimer afin qu’elles ne m’envahissent plus au point d’être indomptables. Et puis j’ai un peu moins peur des autres, surtout quand il s’agit de communiquer dans une autre langue, parce que parfois j’ai été face à l’incompréhension. Mais la bienveillance de l’autre m’a permis de chercher mes mots pour sortir une phrase. D’autres fois nous n’avions pas de mots en commun et pourtant nous nous sommes compris. Je revois encore cette dame dans son petit restaurant en Birmanie nous imiter la poule pour qu’on comprenne qu’au menu ce serait du poulet. On a ri avec elle et à ce moment je me suis dit qu’il était toujours possible d’échanger.

 

Les retrouvailles avec mon neveu. Photo d’Orlane Issico.

Et le retour, ça va ?
 
Alors il se passe bien car nous sommes dans une belle dynamique que nous comptons bien garder longtemps. Nous retrouvons la France et les raisons de pourquoi nous l’aimons. Entre autres le fromage, la puissance de l’amitié, le printemps. Nous retrouvons nos habitudes de remonter sur Citron et de pédaler à droite. De profiter d’une terrasse même s’il pleut parce que la pluie sent bon. Samedi matin, je suis allée prendre un café au soleil à la terrasse du bistrot où j’allais toujours quand j’habitais dans le 18ème. Et Oussama est passé, s’est arrêté, et de son sourire sincère m’a dit : “Mais tu es revenue ? Mais ça fait au moins un an que je ne t’ai pas vu ! Tu étais où ? Ça fait plaisir !”. Oussama fait parti de ce quartier. Tout le monde le connais. Mais toi tu n’es jamais sûre qu’il se rappelle de toi. Il me fait la bise chaleureuse et s’assoit en face de moi avec son café. Nous bavardons de mon voyage, et il me dit partir comme chaque année un mois en Égypte, son beau pays qui n’est plus vraiment le sien. Plus de 30 ans qu’il vit en France et pourtant il parle mal le français. Mais lorsqu’il rentre dans son pays de naissance, il se retrouve avec un accent français mêlé à son arabe. Il est touriste là-bas !
Je m’apprête à partir et il me dit qu’il m’offre mon café parce que ça lui fait plaisir que je sois là ! Ça me touche énormément parce que j’ai toujours eu l’impression d’avoir eu une vie de quartier, mais il a fallu que je parte et que je revienne pour que quelqu’un me montre que c’était réel, que j’existais au sein de ce quartier.

La question d’être chez soi a été importante pendant notre périple. Où peut-on s’installer pour faire notre vie ? Partout ? Oui mais non. Qui sommes-nous ensuite… La vie d’Oussama m’interroge encore. Comme celle de ma mamie, française d’Algérie. S’intègre-t-on vraiment un jour dans notre second pays ?

Pendant notre week-end de retour… C’est beau ça comme conclusion non ? Photo de Jean-Marie Vaude.

Votre retour ? Pas déprimant ?
 
Non parce que l’idée maintenant est de nous trouver un nouveau quartier, un nouvel environnement dans lequel nous intégrer. De continuer la construction de notre vie en gardant bien en tête de rester libres, de ne pas nous enfermer dans une logique pré-définie, de toujours regarder les choses sous plusieurs angles, et de ne pas avoir peur parce qu’on peut faire de grandes choses avec l’enthousiasme ! La positivité ouvre beaucoup de portes ! Et c’est beau ça non ?
 
Maeva

Toujours pendant notre week-end. Photo de Tiphaine Tarris.